Le Placard n’a pas de langage et n’a pas d’odeur. Il n’a pas non plus d’ombre où l’on aurait pu se cacher. Le Placard ça n’existe pas et pourtant, ça produit toujours plus d’enfants silence. Il nous enfante mais en prenant toujours le soin de nous défigurer. Soit mais
Ni trop bizarre ni trop valide
Ni trop trans ni trop féministe
Ni trop noir.e ni trop arabe
Ni trop pédé ni trop gouine
Qu’est ce qu’on appelle le Placard ? Un endroit qui nous abîme. Un abîme pour contorsionnistes que nous devenons malgré nous, dont on ne se dépêtre jamais totalement. Parce qu’on a définitivement le dos trop voûté pour se tenir debout. Parce qu’on n’a jamais appris qu’à murmurer, on ne sait ni hurler ni même parler.
Ces mots explorent un recoin infime du placard qui est le mien. Je ne les offre pas: ils n’ont rien d’un cadeau…
Je ne regrette pas une syllabe mais j’aurais souhaité ne jamais avoir à les écrire.
Parce qu’ils sont écrits par la haine, le meurtre, le viol, les gueules retournées, la pauvreté, le silence depuis des siècles, la bêtise, la prison,
l’hégémonie. J’aurais souhaité que rien de tout cela ne fasse partie de ma vie, ou de la tienne. […]
Si ma voix est merveilleuse, c’est parce que nos laideurs s’y reflètent.
Ces laideurs, c’est mon trésor et ma fin. Quand la lune est faste, je les porte à mes lèvres et à la feuille. Mes mots n’embellissent rien, mais
n’imaginez pas pour autant qu’ils sont vrais.
Le Placard n’est ni beau ni vrai.
Le Placard nous réduit. Or
J’ai l’orgueil du peuple des géants.
[…]
Chantons :
Les corps interdits à la beauté et les mots bannis
de la poésie
Les insortables et les insolvables
Les bonnes à rien et les bon débarras
Les ratures sur les peaux et les songes
Les matins à la chair idiote et les soirs
grandes larmes
Les charges impossibles, les pieds qui ne
marchent plus, les jambes qui ne portent pas
Les fiertés en lambeaux
Les viscères et les cellules qui croupissent
Ils bénissent les charognes ?
Grand bien leur fasse ! Nous pleurerons
dans le langage des signes nos gloires en silence,
nous hurlerons des ritournelles frénétiques
à la lymphe et à la pourritures de nos propres
plaies, nous réciterons en bégayant des odes
à la vapeur de javel et aux sondes urinaires.
Luz Volckmann
Extrait du roman
Les Chants du Placards